EDITO|Uniforme à l’école : pas dans notre culture ?

En 2023, le ministre de l’Éducation Gabriel Attal décide de mettre en place l’uniforme dans quelques établissements français volontaires. Il se dit neutre sur la question, et attendre de ces expérimentations concrètes des éclaircissements sur l’utilité et l’efficacité réelles de l’uniforme. Parmi les collectivités locales volontaires, quelques dizaines sont choisies, et parmi elles, la ville d’Aix-en-Provence.

Comme le montre la carte établie par Chicane, le projet est très largement porté par la droite, qui y voit un moyen de renforcer la cohésion de groupe en donnant un sentiment d’appartenance, de gommer les inégalités, mais aussi les individualités au profit d’un intérêt supérieur. L’uniforme est aussi – et surtout – un symbole, celui d’un prétendu ‘retour à l’ordre’ de l’école. Un retour à l’autorité des professeurs, au respect de la hiérarchie pour les élèves, en mémoire d’un temps, jamais bien précisé, où l’on punissait les mauvais élèves avec des lignes à copier ou des coups de règle sur les doigts. Pourtant, excepté aux Antilles, l’uniforme n’a jamais été obligatoire dans l’école laïque française : la blouse ne servait qu’à protéger les vêtements des taches d’encre. Parce que les vêtements étaient chers à l’époque ; on n’en avait pas beaucoup, mais ils étaient faits sur mesure souvent, et réparés plus souvent que jetés. Avec l’arrivée du prêt-à-porter, et plus tard de la fast fashion, les enjeux autour des vêtements des enfants ont bien changé.

La gauche, en particulier les écologistes, ne s’est pas emparée du sujet. Et pourtant, l’uniforme ne serait-il pas une solution pour lutter contre la surconsommation de textile destructrice de la nature ?  Permettrait-il, en baissant les besoins, de faire baisser les achats ? Tout dépend en réalité de la qualité de ces uniformes, et de leur prix, pour l’Etat, et pour les familles. Car si certaines écoles se sont engagées à privilégier le Made In France (comprendre aussi la qualité et le durable), c’est loin d’être le cas partout. Certaines familles se plaignent déjà d’uniformes qui ne tiennent pas, comme à Aix, et de la nécessité d’en racheter en cours d’année. Dans le cadre des expérimentations en vigueur depuis septembre 2024, les familles n’ont rien eu à payer pour les trousseaux de départ. Ce sont l’Etat et les collectivités territoriales volontaires qui ont avancé les fonds.

Tout le débat est là : plus l’uniforme est qualitatif, mieux c’est pour l’environnement et les familles, mais plus il est cher pour les institutions publiques, dans un contexte budgétaire dégradé. Nombre de syndicats d’enseignants et d’associations de parents d’élèves se sont insurgés contre ces investissements financiers dans la ‘tenue unique’, de son nom officiel, à l’heure où l’école est à la peine. Les parents évoquent entre autres le chauffage des bâtiments, la sécurité des messageries électroniques Pronote, mais surtout, encore et toujours, les effectifs dans les classes et les besoins de remplacement des professeurs absents.

Pourtant, malgré leurs réserves, les parents d’élèves semblent favorables à cette expérimentation – ou tout du moins, ils n’y sont pas opposés : après tout, cela fait gagner du temps le matin, et réduirait les risques de harcèlement. Peu importe que ce dernier argument soit réfuté par plusieurs études, le harcèlement n’étant pas moins élevé dans les pays ayant mis en place l’uniforme que dans ceux où il n’existe pas. Le style vestimentaire n’est d’ailleurs statistiquement pas la première raison du harcèlement, ni même la deuxième.

Pas pressé de trancher, le ministère de l’Education se laisse du temps. Elisabeth Borne a déjà annoncé, le 7 mars dernier, la poursuite du financement de ces expérimentations en 2025-2026, dans les localités volontaires. La décision ne peut être taxée d’arbitraire : des sondages des parents, des élèves et des professeurs ont été organisés pour décider de la continuation de l’expérimentation, comme par exemple au lycée Jean d’Ormesson, à Châteaurenard (13).

Dans ce numéro de Chicane, les rédacteurs vous parlent plus précisément de chaque face de ce prisme qu’est l’uniforme, concrètement, et théoriquement. Quelles nouvelles des pays où l’uniforme à l’école est obligatoire ? de l’Outre-Mer ? Peut-on porter un uniforme et être bon en sport ? Quelles sont les arguments des élus à gauche et à droite ? Et les élèves, qu’en disent-ils ?

À la sortie de l’Ecole maternelle Grassi à Aix-en-Provence, qui fait partie des établissements test, une petite fille se confie : « Je n’aime pas trop ce truc-là, le logo, et c’est vrai que je ne peux pas mettre de robe à l’école, mais je l’aime quand même un peu, l’uniforme… » Serait-ce un début d’adoption ou de révolte ?


Gabrielle SAUVIAT