Uniforme à l’école : outil efficace ou dépense inutile ?

En 2023, Gabriel Attal annonce l’expérimentation du port de l’uniforme dans 100 établissements publics en France, faisant ainsi entrer officiellement cette mesure dans le champ des politiques éducatives. Huit mois après, l’Etat annonce une dérive budgétaire sans précédent et doit prendre des mesures d’économies strictes. L’expérimentation, pourtant, est maintenue, représentant un coût de 2 millions d’euros. Dès lors, la question se pose : s’agit-il d’un investissement utile ou d’une dépense superflue ?

Les vertus de l’uniforme

Pour ses partisans, l’uniforme serait un formidable outil de lutte contre les discriminations sociales, en empêchant les élèves de faire étalage de richesse, notamment à travers les vêtements de marque.

On lui prête également la capacité de renforcer le sentiment d’appartenance à l’établissement, de consolider l’autorité du corps enseignant, d’accroître la cohésion entre élèves et même de favoriser la performance scolaire. L’uniforme serait aussi un remède contre le harcèlement et les violences scolaires, en réduisant les moqueries liées aux vêtements tout en renforçant le sens du collectif.

Autre argument souvent avancé : l’uniforme garantirait le respect de la laïcité à l’école. Ces dernières années, il a été présenté de plus en plus souvent comme une réponse aux polémiques autour des signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires.

L’uniforme est-il vraiment efficace ?

Michel Tondellier, sociologue et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université des Antilles, est en désaccord avec l’idée selon laquelle l’uniforme effacerait les inégalités sociales : « Il n’existe aucune étude qui démontre un lien entre uniforme et réduction des inégalités sociales ». Selon lui, il n’empêche pas certains marqueurs sociaux essentiels de persister : bijoux, chaussures, téléphones portables ou encore fournitures scolaires — d’autant plus que, dans de nombreux établissements test, l’uniforme reste partiel (souvent limité au haut de la tenue).

Par ailleurs, les élèves savent rapidement, en discutant entre eux, qui sont les plus aisés. Une simple conversation au retour des vacances suffit : tout le monde ne part pas au ski.

Cela n’a rien d’étonnant selon Claude Lelièvre, historien de l’éducation. Pour lui, le port de l’uniforme a d’abord été instauré dans des établissements huppés, dans une logique de distinction, et non pour gommer les différences sociales : « Ces uniformes étaient avant tout un signe de distinction d’établissement – dans tous les sens du terme, la mise en avant d’une appartenance à une communauté sélectionnée. Et chaque établissement avait donc son uniforme spécifique. »

Concernant les signes religieux et de la laïcité, on peut reconnaître une certaine efficacité à l’uniforme, dans la mesure où il interdit de facto toute autre tenue – à l’exception des bijoux. Cependant, cette solution peut être critiquée, car elle tend la plupart du temps à stigmatiser certaines populations, comme les femmes voilées qui sont souvent la cible de ces attaques. L’annonce de l’expérimentation suit la controverse sur le port de l’abaya, interdite dans les établissements publics à la rentrée de septembre 2024.

En ce qui concerne le harcèlement et les violences scolaires, une étude menée en 2022 par l’Université d’État de l’Ohio affirme qu’il n’existe aucune différence entre les établissements scolaires qui imposent l’uniforme et ceux qui ne le font pas. 

Enfin, sur la question des performances scolaires, cette même étude aboutit à deux conclusions : la tenue unique n’a aucun effet sur les résultats des élèves, et elle n’améliore pas l’assiduité.

Ce qui fait réellement progresser les élèves, ce sont le suivi personnalisé et le temps de travail accompagné, comme les heures d’aide aux devoirs. Mais cela supposerait d’augmenter le budget de l’Éducation nationale, de réduire le nombre d’élèves par classe et de recruter davantage d’enseignants — ce à quoi le gouvernement ne semble pas prêt.

Cette tension entre l’efficacité supposée de l’uniforme et son coût réel semble dominer les avis sur cette mesure. À la sortie de la maternelle de Grassi qui fait partie des établissements test à Aix-en-Provence, un parent s’interroge : « C’est aussi une question de budget, est-ce que à l’heure actuelle l’argent n’aurait pas pu aller ailleurs que dans des uniformes ? »