Un contexte spécifique aux Antilles
La Martinique a vu l’uniforme scolaire se généraliser à un moment où la violence grandissait en milieu scolaire, et où son adoption était vue comme une manière d’identifier plus facilement les élèves pour maintenir l’ordre. « Les attaques récurrentes au couteau pourrait expliquer l’adoption de cette mesure par un grand nombre d’établissements. Une décision qui, bien qu’au départ singulière, finit par être adopté par une majorité d’établissements ». La sécurité au sein des établissements, est également une explication à la diffusion de cette mesure pour Bryan, jeune homme originaire de la Guadeloupe. Selon lui, « les règles qui imposent le port du t-shirt à l’intérieur du pantalon – et non à l’extérieur – permettraient de prévenir le port d’armes dans les écoles ». Outre la sécurité, l’attachement des familles antillaises à l’éducation pourrait expliquer leur adhésion : « le port d’une tenue commune permet d’assurer que les enfants soient présentables et puissent montrer qu’ils bénéficient d’un cadre éducatif ».
Malheureusement, si la mesure peut rassurer, elle s’avère peu efficace pour lutter contre les violences au sein des établissements scolaires. Nathalie Mons, rectrice de l’académie de Martinique, reconnaît « une augmentation des actes de violence, en particulier depuis l’année 2023, en écho aux émeutes urbaines survenues en métropole». Outre la violence, elle déplore également « une très forte progression des incivilités », qu’elle relie au mouvement social.
Aller à l’école, un droit qui se conditionne au respect de l’uniforme
Malgré l’adhésion majoritaire des parents, certains dysfonctionnements obligent à modérer le succès de l’uniforme scolaire. Renvoyer des enfants parce qu’ils ne respectent pas la tenue unique ou exiger des parents qu’ils apportent de nouveaux vêtements « interroge sur le respect du droit à l’éducation pour tous puisque ces défauts de tenues peuvent parfois prendre le pas sur l’obligation scolaire », reprend Michel Tondellier. La prise en charge financière du coût de l’uniforme par les familles peut également alimenter certaines inégalités d’accès. L’approbation de la mesure par Bryan ne l’empêche pas de reconnaitre que l’achat d’un polo autour de 15 euros l’unité, peut représenter une dépense significative pour certains foyers. Michel Tondellier parle à ce sujet de « business de l’uniforme », vu l’économie fructueuse qu’il génère. Contrairement aux fournitures scolaires, aucune directive n’encadre ce marché. Devoir s’y conformer oblige certaines familles à acheter des tenues en mauvais état ou d’occasion, ou, pour les plus précaires, à solliciter l’aide sociale de l’établissement. Pourtant censé réduire les inégalités, l’uniforme amène finalement à devoir assumer des difficultés économiques pour les plus précaires.
Au cours de certains échanges avec des adolescents scolarisés en Martinique, l’enseignant chercheur a pu constaté l’influence du coût de l’uniforme dans leur trajectoire scolaire. Certains écoles, où l’uniforme est plus cher qu’ailleurs, sont volontairement évitées par les adolescents. Conscients des difficultés financières que ces achats peuvent représenter pour leurs parents, ces derniers font le choix de se tourner vers des établissements moins prisés.
Quand l’apparence est sous contrôle
Enfin, si les plus jeunes acceptent facilement ce « rite de passage » vanté par les adultes, preuve qu’ils ne sont plus des bébés. Mais cette justification ne dure que quelques années ! Les lycéens , eux, éprouvent plus de difficultés à se soumettre à l’autorité. Qui plus est, lorsque des « règles d’habillement » viennent accompagner le port d’un uniforme. Exit les sandales, les coiffures afros et les bijoux ostentatoires : certains établissements vont jusqu’à restreindre tout signe d’individualité. Si certains l’acceptent, à l’image de Bryan, ce dernier reconnaît que « cette mesure peut provoquer une forme de frustration chez certains élèves : le problème réside dans le fait qu’ils n’ont pas leur mot à dire sur la manière dont ils s’habillent ». Pour Michel Tondellier, ces règles d’habillement provoquent «l’abandon d’une partie du rôle éducatif des professionnels de l’éducation au profit du contrôle des élèves. Ce contrôle, qui était auparavant propre aux parents, leur est cédé.»