Le travail doit avoir du sens. C’est ce que Sylvaine Perragin, psychologue du travail, à la tête du cabinet de consultance RH Tédéa-Conseil, défend depuis 20 ans. Spécialiste de la question de la souffrance des travailleurs, elle revient sur les débats actuels qui secouent le monde du travail.
Pourquoi le sens au travail est-elle une notion cardinale dans notre société ?
On confond souvent sens et intérêt. Ce qui est nouveau dans nos sociétés occidentales, c’est que les jeunes demandent aujourd’hui à ce que le travail ait de l’intérêt. Or, s’il n’existait que les emplois qui ont un intérêt prioritaire, alors 90% des boulots seraient exclus! Le travail trouve son sens dans le soin que l’on met à la tâche.Vous pouvez être ouvrier dans une usine et vous y épanouir. Mais pour cela, il faut penser une organisation du travail cohérente, dans le respect des uns et des autres. Or la perte de sens apparaît souvent lorsque l’on n’arrive plus à faire correctement son travail. Il ne faut pas l’oublier : nous sommes une part de ce que l’on fait. Voilà pourquoi et comment on se retrouve avec 400 000 burn-outs par an.
Que signifie pour vous le bien-être au travail et depuis quand en parle-t-on en France ?
La notion de bien-être au travail ne signifie à peu près rien. Il faut la re-contextualiser. Depuis les années 1990-2000 avec la médiatisation des vagues de suicides chez Renault et France Télécom, on évoque la souffrance des travailleurs. Mais progressivement, au lieu d’évoquer le mal-être, on a inversé la logique sémantique : on a parlé de qualité de vie, puis de bien-être et aujourd’hui de bonheur au travail. Or même si on développe ces concepts avec une artillerie d’outils marketing, c’est bien le mal-être au travail et non le bien-être, le point de départ.
C’est comme cela qu’est apparu le business du “bien-être” au travail ?
Exactement, et cela passe par la création de “manageurs du bonheur”, qui peut faire rire, mais dit quelque chose de grave sur notre société : les gens vont de plus en plus mal. Et comme le marché récupère tout, il s’est aussi accaparé ces questions : c’est ce que l’on peut appeler du bien-être washing. Pour éradiquer la souffrance au travail, la vraie remise en question doit être systémique.
Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté le monde du travail?
Le covid a favorisé le basculement en télétravail. Ce dernier est en train d’atomiser la société: sans vie d’entreprise, il n’y a plus de projet commun. Certes, il a pu être bénéfique en permettant de faire une pause quand ça n’allait pas bien. Cependant, il y a des endroits où ça s’est très mal passé : les gens se sont sentis extrêmement surveillés. Les entreprises ont fait du mieux qu’elles ont pu. Aujourd’hui, elles doivent impérativement adapter et organiser le travail à distance, en consultant avant tout les salariés.