Alors que la France est paralysée par la Covid, les travailleurs sont désormais divisés en deux catégories: les essentiels et ceux qui ne le sont pas. Ces derniers, ces inutiles modernes, vivent mal ce brutal changement de statut. La société, soudain, juge qu’elle pourrait se passer d’eux, les amenant à se poser la question du sens de leur vie. La réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. Déjà, en 1998, Philippe Muray annonçait l’arrivée de la crise du sens au travail qui touche aujourd’hui ce que l’on appelle les “bullshit-jobs”: “Depuis qu’il n’y a plus de travail, ou que les travailleurs ne sont plus aussi véritablement nécessaires que jadis à la bonne marche de la planète, l’éminente dignité qui découlait du travail a été remplacée par l’éminente dérision de l’homme festif”.
L’utilité, comme le sens du travail, sont durs à définir
Sébastien Landini est expert en ressources humaines. Pour lui, “La question de l’utilité du travail est finalement très personnelle. Décréter que le travail d’un autre est inutile relève davantage de l’idéologie”. En économie, l’emploi est toujours vu comme ayant une utilité économique et répond à une demande. Ainsi, on peut penser du portier d’un hôtel que son travail est inutile. Pourtant il est important pour la qualité de l’accueil du client et le standing de l’établissement.
Il faut chercher ailleurs l’origine de la crise de sens qui traverse le monde du travail en général et plus particulièrement le monde du service. “Ce qu’on peut qualifier de vrai bullshit job est un travail dans lequel on ne se rend pas compte de son utilité, reprend Landini. La rédaction de notes à répétitions, par exemple, sans jamais savoir si elles sont lues, peut donner l’impression de ne servir à rien”.
“Personne en France ne creuse des trous pour les boucher le lendemain”
Le travail définit une part importante de ce que l’on est. “Pendant très longtemps le métier définissait l’identité : vous étiez maréchal-ferrant, comme votre père et son père avant lui, vous vous appeliez même peut-être Monsieur Ferrant”, ajoute Sébastien Landini. À une époque où les professions répondent à des besoins moins évidents, se définir par son travail peut s’avérer difficile. C’est ce qui explique, toujours selon Sébastien Landini, l’apparition de métiers tels que “Chief Happiness Officer” (responsable du bonheur au travail) ou d’autres tentatives de “management positif”. Nicolas Lioi occupe lui-même ce poste. “Mon objectif est de valoriser le travail des collaborateurs et de m’assurer du bien être de chacun. Pour cela je mets en place des questionnaires de satisfaction et m’assure de faire circuler correctement les informations entre les collaborateurs”. C’est l’apparition d’une nouvelle problématique dans la gestion humaine d’une entreprise. Dans un monde complexe, il faut désormais aider le travailleur à trouver le sens de son activité. Or, comme conclut Sébastien Landini, “Les bullshits jobs n’existent que lorsqu’on ne comprend pas son propre travail”.