Les frais de représentation : l’esthétique en politique

Costumes de luxe, robes haute couture ou même coup de bistouri, les politiques ne lésinent pas sur leur apparence. Avec leurs notes de frais étalées aux yeux de tous, un stop chez le coiffeur trois fois par semaine ne passe plus inaperçu. Ce qui interroge sur leur caractère absolument indispensable…

En 2022,  Raquel Garrido, députée Nupes, subit les foudres de l’opinion publique. Des internautes ont cru reconnaître à ses pieds les fameuses sandales Hermès qui valent une petite fortune. Vivement critiquée, particulièrement, car appartenant au clivage gauche, l’élue a posté une photo de ses sandales pour prouver qu’il ne s’agissait pas d’une marque de luxe.

Récemment, après avoir été publiées sur le site de Madada, une plateforme créée pour faciliter l’accès aux documents produits par les autorités dans le cadre de leur mission de service public, c’est les notes de frais de la maire d’Aix-en-Provence Sophie Joissains qui ont été scrutés. Les soins esthétiques ont été la source de nombreuses critiques.  Devant la polémique naissante dans les médias, la mairie se défend dans un communiqué : “Les frais de représentation doivent permettre à l’élue, dans le cadre de ses fonctions de maire, de représenter au mieux la Ville.”

C’est vrai : les élus des grandes villes enchaînent les apparitions publiques, entre inaugurations, conférences et interviews. Cela rend-il indispensable une apparence impeccable ?

Dress code obligatoire 

Certes, l’apparence physique est une composante importante de la communication non-verbale. Selon Hélène Garner Moyer dans Le Journal des Psychologues : “Les apparences corporelles en situation d’interaction fournissent, une somme d’informations sociales sur les acteurs sociaux parce qu’elles résument partiellement ou complètement l’identité sociale de ceux-ci.”

Les politiciens qui accordent de l’importance à leur apparence peuvent véhiculer une impression de professionnalisme, de confiance et de crédibilité. Leur apparence aurait la capacité d’influencer la manière dont le public les perçoit.

Plus encore, dans l’ouvrage Journal of Personality and Social Psychology : What is beautiful is good  par Dion, K., Berscheid, E., & Walster, E., on apprend que les candidats jugés beaux ou séduisants ont généralement une meilleure capacité à attirer des votes, un phénomène couramment désigné sous le nom d’effet de “halo esthétique ». Un exemple frappant de cette tendance peut être observé dans l’élection présidentielle de 1960 aux États-Unis, où John F. Kennedy, souvent considéré comme l’un des présidents les plus beaux et charismatiques de l’histoire américaine, a largement bénéficié de son apparence séduisante, ce qui a contribué à renforcer sa popularité et à favoriser son élection.

L’apparence est donc un rouage indispensable à nos élus qui mettent tout en œuvre pour nourrir ce qu’appelle François Hourmant, Professeur en sciences politiques à l’université d’Angers et auteur de l’ouvrage Pouvoir et beauté, “le capital esthétique”.

Des tapis rouges à l’Élysée

Dans le monde people, beaucoup de stars ne sont pas reconnues seulement pour leur talent, mais pour leur plastique irréprochable. Selon François Hourmant, ce concept semble s’étendre au monde politique. Il nous parle même d’une “peopolisation de la sphère politique”. John Kennedy, et sa femme Jackie Kennedy en couverture du livre Pouvoir et Beauté en ont ete les précurseurs. En France, avec le cas de Nicolas Sarkozy, on a pu assister à une surexposition de l’ex-président qui a souvent fait la couverture du Parisien, du Figaro mais aussi de magazines people tels que Closer ou Voici.  Durant son mandat, et jusqu’à aujourd’hui on  peut voir l’ex-président capitaliser sur son physique et l’entretien de celui-ci : on le voit en couverture de Paris Match revêtu de son habit de cycliste, se laissant aller à la confession de sa passion pour lé vélo. Souvent moqué pour sa taille, l’ancien chef d’Etat avait également investi dans une paire de talonnettes. A son tour, François Hollande a investi dans son apparence, le salaire de son coiffeur attitré gravitant autour des 10 000 euros avait fait jaser. Aujourd’hui, c’est les frais de maquillage de la première dame Brigitte Macron qui interpellent, l’Elysée se défend et estime que cette dernière n’est pas plus dépensière que ses prédécesseurs…

Bien entendu, les hommes et femmes politiques ont tout intérêt à investir dans leur esthétique. En effet, nous sommes devenus une société bien plus axée sur le visuel, et sur le web à l’ère du “meme”, un faux pas n’est jamais oublié. Roselyn Bachelot en a fait les frais – sans mauvais jeu de mots – lors de l’investiture d’Emmanuel Macron en 2022 où sa tenue a été ridiculisée. Elle portait un tailleur vert pomme flamboyant devenu viral jugé ringard et beaucoup trop coloré.

« Plafond de verre »

Comme dans tous les domaines de notre société, les femmes ne sont pas épargnées en politique, il existe en effet un double standard pour ces dernières. Les mêmes stéréotypes s’appliquent. Pour Eva Joly, les lunettes sont trop “mémérisantes” mais chez un homme, les cheveux grisonnants sont synonyme d’expérience et de fiabilité, c’est pourquoi certains  n’hésitent pas à investir dans une couleur poivre et sel comme l’a fait Laurent Wauquiez  a l’annonce de sa candidature à la présidence du parti Les Républicains en 2017.

Lorsqu’une femme politique correspond au standard de beauté, son capital devient sa force ou sa faiblesse, le stéréotype de “la bimbo sans cervelle” est encore bien ancrée dans l’imaginaire commun. Ce qui a parfois été le cas avec Rachida Dati, à  l’époque, garde des Sceaux ou encore Najat Vallaud Belkacem ministre de l’éducation sous le mandat Hollande, qui se sont vues notées dans des classements parmi les femmes politiques les plus belles.  Ces dernières ont été le sujet d’ articles dans les revues de presse féminine, non pas pour leur travail,  leur carrière ou leurs idéaux, mais pour leurs tenues,  leur maquillage et leurs apparitions sur les tapis rouges. François Hourmant, nous rappelle également cette phrase célèbre et souvent recyclée “l’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté” utilisée contre Ségolene Royal en 2007 : “ Cette discriminationen politique, ne fait que reproduire la discrimination qui existe dans la vie sociale à l’égard des femmes,[…] il y a un plafond de verre qui subsiste”.

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Le capital esthétique des femmes serait aussi celui de leur conjoint, quand on prend l’exemple des premières dames en France et ailleurs. Carla Bruni, mannequin, serait la cerise sur le gâteau pour Nicolas Sarkozy son “atout charme” : “cette discrimination est bel et bien une vision extrêmement sexuée pour ne pas dire sexiste des représentations genrées” assure le professeur en sciences politiques.

Costume Mugler ou gilet jaune ?

En France, la question de la beauté physique, en politique, est très peu abordée, comme si son importance était déniée. “La beauté est un sujet trop frivole, trop anecdotique au regard des programmes politiques” affirme François Hourmant. Il est vrai que la question peut apparaître comme superficielle au vu des enjeux du monde d’aujourd’hui et des crises qui le rythment. Ces mêmes crises économiques, sociales qui pèsent sur la main pointant du doigt le shopping des élus : 

« On l’a vu, avec l’affaire des costumes Fillon, l’étalage du luxe même discret […] est potentiellement source d’effet ravageur s’il est dévoilé dans l’espace public surtout en temps de crise ; le phénomène des gilets jaunes a cristallisé cette colère liée à la paupérisation des classes moyennes lié au sentiment de déclassement et a alimenté le ressentiment d’une frange de la population à l’égard des politiques, des élites. » ajoute l’auteur de Pouvoir et Beauté.

L’opinion publique s’interroge ou s’insurge, les frais liés à l’esthétisme doivent-ils être considérés comme mandataire à l’exercice politique, ou considérés comme privés et ainsi inconnus à l’argent du contribuable ?

Camila Yahiaoui