Comment concilier vie de famille et engagement politique ? Cette question se pose avec plus d’acuité pour les femmes élues. En France, en moyenne, les femmes réalisent 71 % du travail domestique et 65 % du travail familial. Depuis janvier 2021, les frais de garde d’enfants ou d’assistance des élus de communes de plus de 3500 habitants peuvent être remboursés sous certaines conditions pour leur permettre d’assister aux réunions indispensables à l’exercice de leur mandat électoral. Cette mesure n’est pas automatique, elle doit d’abord être votée en conseil municipal.
« Certes, elle joue son rôle d’encadrement et de contrôle. Mais est-elle vraiment favorable aux femmes, aux mères, aux actives qui veulent s’engager, s’investir sur un mandat électoral ? Est-elle facilitatrice ? De mon point de vue, la réponse est non! », s’exclamait Stéphanie Lefoulon dans son discours sur le remboursement des frais de garde, lors du conseil municipal du 08 décembre 2022 à Mayenne. Elle est adjointe au maire et conseillère départementale depuis 2020.
Un parcours du combattant
Stéphanie Lefoulon en sait quelque chose. Elle travaille à la Mission locale depuis 5 ans. Suite à une séparation, elle s’installe à Mayenne avec ses trois filles dont elle a la garde. Puis elle décide de participer à la campagne pour les élections municipales pour la liste de gauche, qui gagne en 2020. « Commence alors le parcours du combattant », se souvient-elle. Elle jongle entre son travail à temps plein à la Mission locale, sa vie de famille et ses mandats d’élue municipale, d’élue communautaire et de conseillère départementale. Ses filles ont alors 5, 11 et 13 ans. « Il faut être sacrément bien entourée et bien organisée pour mener tout de front. », reconnaît Stéphanie Lefoulon. Officiellement, la ville apporte son aide aux élus, parents de jeunes enfants. Dans les faits, c’est un petit peu plus compliqué.
En effet, depuis 2022, à Mayenne, les membres du conseil municipal peuvent bénéficier du remboursement de leurs frais de garde. Mais le diable est dans les détails : pour que le dispositif s’applique, cette garde doit être rendue nécessaire par la présence des élus aux séances plénières du conseil municipal, aux réunions de commissions dont ils sont membres, ou aux réunions des assemblées délibérantes et des bureaux des organismes dans lesquelles ils représentent la commune.
Or, ces moments sont loin d’être les seuls où la présence d’un élu est nécessaire ou souhaitée. Par exemple, « Les moments de représentation ne passent pas, souligne l’élue. Et quand ça passe, on doit fournir les feuilles d’émargement, les comptes rendus de réunion. C’est une grosse charge mentale. » Cela suppose de s’organiser pour trouver un moyen de garde, avant d’établir les contrats, de réunir les documents et de les transmettre pour se faire rembourser. « Je trouve que toute cette charge administrative empêche des fois de passer plus de temps dans les dossiers, de passer plus de temps en réunion ou avant ou après les réunions pour discuter de certains dossiers ».
« C’est une évidence, mais ce n’est pas acquis »
Marie-Laure Le Mée Clavreul est adjointe de gauche au maire de Laval, en Mayenne responsable de l’éducation, l’égalité femme-homme et la lutte contre les discriminations. Elle est également mère de trois enfants. Dans sa commune, les frais de garde ne sont pas remboursés mais pour l’élue, ça n’est pas une priorité, ni pour elle-même, ni pour les autres membres du conseil municipal. « Le dernier à 11 ans, il a déjà leur papa pour s’en occuper. Et quand il n’est pas là, il y a son grand frère et sa grande sœur », explique-t-elle. Pour l’instant ce dispositif n’est pas à l’agenda. « On n’a pas eu de demande d’élus. On est beaucoup avec des enfants, mais qui sont soit plus âgés, soit l’autre parent peut s’en occuper», retrace-t-elle, sans rejeter l’idée d’étudier ce projet.
Pour Stéphanie Lefoulon, le remboursement des frais de garde pour les élus, « c’est une évidence, mais ce n’est pas acquis partout ». Car L’enjeu derrière le remboursement des frais de garde est aussi d’attirer dans la vie politique les parents, et particulièrement les mères. « Les gens ont envie d’avoir des élus qui leur ressemblent. C’est important qu’on soit le plus proche de la vie d’un citoyen lambda », insiste Marie-Laure Le Mée Clavreul. Pourtant, malgré les lois sur la parité, les femmes sont encore sous-représentées dans le paysage politique. En 2023, les femmes représentent 37 % des députés, 45 % des conseillers municipaux, 49 % des députés européens français, 49 % des conseillers régionaux et 51 % des conseillers départementaux. En revanche, seuls 20 % des maires et moins d’un tiers des présidents de région sont des femmes. Et elles ne président que deux conseils départementaux sur dix et occupent un peu plus d’un siège sur trois au Sénat. Selon Stéphanie Lefoulon, la législation n’encourage pas l’engagement des femmes actives et mères dans des mandats électoraux. « Pour moi ça marche parce que je suis bien entourée : je suis Mayennaise et j’ai ma famille et mes amis ici. Mais il faut vraiment bien réfléchir avant de s’engager, c’est beaucoup d’investissement. Comment on donne envie aux femmes de venir en politique avec toutes ces contraintes ? », conclue-t-elle.
Maylis Christien