Que ce soit les 1 090 € dépensés par le maire de Toulon pour des vêtements Hugo Boss, le repas au restaurant à 1 523,80 € de Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, les billets de train en première classe du maire de Dinan ou encore les 2 024 € déboursés chez MAJE par Sophie Joissains à Aix-en-Provence, les notes de frais de certains maires français attirent l’œil du public. Ces dépenses, permises par l’argent du contribuable, sont scrutées par les Français qui s’inquiètent de leur raisonnable utilisation.
Les notes de frais permettent l’exercice du mandat des maires. Elles constituent un budget alloué en fonction du nombre d’habitants de la ville concernée, afin que l’élu puisse exercer sa fonction de représentation. Elles couvrent plusieurs domaines comme les frais de transport ou de restauration. Leur utilisation est libre mais chaque dépense doit être justifiée auprès de l’administration de la collectivité en question. Les administrés peuvent en demander la publication mais il n’est pas prévu que ces déclarations soient rendues publiques en ligne. Certaines municipalités, à l’instar de la ville de Tours, vont au-delà des exigences en publiant en open data la liste détaillée des dépenses engagées par le maire au titre de ses frais de représentation. Récemment, le Conseil d’État a reconnu les notes de frais comme des documents administratifs communicables sur requête des administrés entraînant une augmentation des demandes d’accès sur Madada.fr. C’est dans ce contexte que nous avons scruté ces données grâce à notre Base Nationale des Notes de Frais afin de vous en révéler les contours.
Qu’est-ce que la Base Nationale des Notes de Frais (BNNF) ?
Cette banque de données, élaborée par Chicane, compile l’ensemble des demandes de remboursement de frais des maires qui ont été communiquées par les mairies concernées sur Madada.fr. Il est essentiel de noter que la BNNF se limite aux données disponibles sur le site Internet et n’a pas pour objectif de refléter l’intégralité de la controverse entourant les notes de frais. Cette base, créée de manière indépendante, recense toutes les notes de frais accessibles sur le site web depuis 2020. Les dépenses sont soigneusement classées par année, par ville et par catégories telles que la restauration, le transport, l’hôtellerie, les dépenses en beauté et soins, et les vêtements. Pour notre analyse, nous avons choisi de nous pencher sur les dépenses liées aux notes de frais de l’année 2022 soit la période la plus récente écoulée.
Strasbourg, Narbonne et Aix-en-Provence sur le Podium
Dans le panorama des maires français qui ont communiqué leurs notes de frais sur Madada.fr, la tête du classement 2022 est occupée par Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg et membre des Écologistes avec un montant de 19 061,99 € pour l’année 2022. À la deuxième place, Didier Mouly, maire de Narbonne, décédé depuis, il laisse derrière lui des dépenses substantielles atteignant 14 052,68€. Sophie Joissains, maire d’Aix-en-Provence, se positionne à la troisième place avec des notes de frais totalisant 10 580,48€, montant qui avaient déjà fait scandale lors de sa publication en juin 2023.
Les notes de frais des trois maires des villes trois villes arrivées en tête du classement offrent un aperçu intéressant des diversités de dépenses au sein de ces municipalités. Des élégantes dépenses vestimentaires de la maire d’Aix-en-Provence aux somptueux repas de l’ancien maire de Narbonne, en passant par les déplacements à l’étranger de Jeanne Barseghian (Strasbourg), découvrez ci-dessous le contenu de leurs notes de frais pour l’année 2022.
Les notes de frais en détails : restauration, transport ou encore vêtements
Au total, les 20 maires ont généré 85 090.41€ de notes de frais l’an dernier avec une proportion significative, soit plus de la moitié, attribuée aux dépenses liées à la restauration, s’élevant ainsi à 48 036,47€. Jeanne Barseghian représente à elle seule 25% de ces dépenses en restauration, suivi de Didier Mouly (21%), maire de Narbonne, et de Sylvain Robert (11%) maire de Lens.
Les déplacements, soit les frais de transport totalisent 10 957,15 € et représentent également une part considérable des dépenses. Une fois encore, c’est la maire de Strasbourg qui domine la catégorie avec 40% des dépenses en transport, derrière elle le maire de Tours, Emmanuel Denis comptabilise 2 063,56 € de frais de transport, soit 18%.
Les élus n’ont pas lésiné sur leur apparence, avec des frais vestimentaires s’élevant à 9 093,52 €. Elle avait déjà fait parler d’elle cette année, pas étonnant que la maire d’Aix-en-Provence se trouve en tête du classement avec 6548,60 € soit 72% des frais en vêtements. Son voisin Varois, Hubert Falco, ancien maire de Toulon, a consommé 2 544,92€ en vêtements, soit 28% de la catégorie. Depuis avril 2023, ce dernier a été démis de ses fonctions de maire pour recel de détournement de fonds publics.
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Le mystère reste entier sur certains frais non catégorisés, ils s’élèvent à 3127,11 € et aucuns moyens ne permettent de connaître la nature exacte de ces dépenses. La nomination de celles-ci étant beaucoup trop générale, c’est le cas d’une dépense de 1566,63€ réalisée par le maire des Allues à l’occasion du Tour de France. Cette entrée est supposée couvrir les frais de transport, d’hôtel et de restauration, bien que le montant ne soit spécifié pour aucun de ces postes de dépenses.
Chartres, un fonctionnement au forfait qui soulève des questions de transparence
La ville de Chartres arbore un fonctionnement bien particulier : le forfait. Le maire Jean-Pierre Gorges, affilié aux Républicains, bénéficie d’un forfait mensuel de 2 000 euros pour ses frais de représentation, un montant qu’il peut dépenser à sa discrétion, sans obligation de justification, et cela en toute légalité. Bien que ce forfait ait été approuvé par le Conseil municipal, son fonctionnement soulève des interrogations.
En effet, le conseiller municipal de l’opposition, Quentin Guillemain (Chartres écologie), souligne que l’opacité règne sur la nature des dépenses effectuées, expliquant que : “si le maire ne souhaite pas les donner, on a pas accès à la nature de ses dépenses”. Il se questionne sur ce fonctionnement qui a révélé ses failles notamment pendant la COVID-19: “au moment du confinement covid, les restaurants étaient fermés, il n’y avait pas de possibilité d’avoir des frais de représentation mais il continuait à en percevoir des frais de représentation sans pouvoir les dépenser” poursuivant “je ne vois pas comment on justifie des frais de représentation dans une période covid ou on est tous fixés à domicile”. Contactée, la mairie de Chartres a refusé de répondre à nos questions sur la transparence de ces méthodes nous indiquant simplement que cette pratique demeurait légale.
Yassine Karchi & Louise Ménoury
Les données produites et utilisées dans le cadre de cet article sont librement utilisables sur data.gouv.fr : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/base-de-donnees-des-notes-de-frais-publiees-sur-ma-dada/