Depuis 2018 les règles ont changé au Parlement et le contrôle s’est accru sur les dépenses des élus. Désormais, le ou la déontologue de l’Assemblée Nationale a pour mission d’éplucher tous les ans la comptabilité de 120 députés tirés au sort. Cette mesure fait grincer des dents certains élus qui ne peuvent plus dépenser leurs 5 373 € d’indemnités comme ils l’entendent.
Une tâche fastidieuse pour les élus
Le premier argument des élus c’est que ce contrôle implique de garder une trace de toutes leurs dépenses liées à leur mandat et de collectionner ainsi les tickets de caisse, ce qui risque de leur compliquer la vie. Julien Aubert (LR), ancien député du Vaucluse, estime qu’au « quotidien, le classement des factures est très chronophage ». Pour l’élu de la Manche, Philippe Gosselin (LR), « c’est un peu lourd de noter le détail de ses trajets dans un carnet, surtout quand vous faites 40 000 kilomètres par an ».
S’il est certain que la mise en place de ce contrôle demande aux élus un effort supplémentaire en termes de comptabilité, tous ne voient pas cela comme une tâche insurmontable. Pour calculer ses frais kilométriques, Régis Juanico, ancien député Génération.s de la Loire, utilisait « une application pour enregistrer ses trajets et leurs distances », de quoi lui faire économiser du temps. Matthieu Orphelin (LREM), ancien député du Maine et Loire, confiait par exemple fréquemment la gestion de ses factures à un collaborateur et ce dernier « les classait et de les enregistrait par catégorie. Cela lui prend une journée et demie par mois. Il transmet ensuite le tout à un expert-comptable, qui vérifie que cela concorde ». Une discipline contraignante donc, « mais c’est exactement ce qu’on fait dans le privé » ajoute cet élu, « et c’est nécessaire car il s’agit d’argent public. »
Un coût supplémentaire
Pour d’autres élus, cette mesure implique un coût supplémentaire pour le Parlement. L’ex-sénateur UDI Jean-Léonce Dupont, évaluait à 4,5 millions d’euros par an les dépenses supplémentaires pour le contrôle des indemnités représentatives de frais de mandat. Cependant, ces dépenses sont largement compensées par des élus plus regardants sur leurs notes de frais, affirme Sylvain Niel, avocat en droit social au cabinet Fidal. En effet, dans les entreprises privés par exemple, on note que lors de « l’annonce d’un contrôle aléatoire et informatisé des notes de frais, les montants dépensés baissent d’environ un tiers en moyenne » explique-t-il.
Toujours pour réduire les coûts supplémentaires, d’autres systèmes sont mis en place. Le contrôle des notes de frais se fait sur base d’un tirage au sort, réduisant ainsi le nombre d’élus contrôlés par an, tout en assurant que chaque élu sera au moins contrôlé une fois au cours de son mandat. Sur le modèle d’entreprises privées, le ou la Déontologue de l’Assemblée Nationale s’appuie également sur des logiciels qui lui permettent d’être plus efficace en identifiant les personnes dont les dépenses sont très éloignées de la moyenne.
Les dérives interprétatives du Déontologue
En 2017, lors des délibérations sur la mise en place d’un système de contrôle des frais de mandat, l’ancien député Renaissance, Alain Tourret s’est montré très inquiet. Ce contrôle des dépenses repose selon lui en trop grande partie sur la subjectivité du Déontologue. « Y aura-t-il obligation d’aller au McDo ? », avait-il demandé à l’assemblée, « faudra-t-il démontrer km par km où vous êtes allé ? ». Philippe Gosselin s’est lui aussi offusqué : « Autour de l’Assemblée, les restaurants sont chers ! Mais je ne vais pas non plus faire trente minutes de métro pour aller manger ailleurs, non ? ».
Le Déontologue de l’assemblée a en effet le pouvoir de rejeter des notes de frais trop élevées qui n’observent pas, selon son interprétation, un « caractère raisonnable ». Toutes les dépenses sont concernées par ce critère, que ce soit pour la restauration, l’habillement ou le déplacement des élus. « Le vêtement que l’on porte, notamment quand on est une femme dans la vie politique, est sans doute le premier message que l’on adresse aux personnes qui vous rencontrent, avant même qu’elles ne vous entendent parler. » déclare Anne Hidalgo pour justifier l’importance des dépenses de représentation en politique. Cependant, ces dépenses doivent rester dans la limite du raisonnable, contrairement « à certains qui paient leurs costumes 2 000, voire 3 000 euros » s’indigne Gosselin. Anne Hidalgo a elle-même été épinglée en mars 2023 pour des achats qui « ne rentraient pas dans le périmètre » du raisonnable selon l’examen du Déontologue actuel, Jean-Éric Gicquel.
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Les élus s’inquiètent donc que leurs notes de frais puissent être rejetées au bon vouloir du Déontologue. Mais face ce risque de dérives subjectives, l’ancien député Pierre-Yves Bournazel a une solution : « Nous pouvons lui envoyer un mail en lui expliquant que nous envisageons de dépenser tel montant pour tel service, et en lui demandant ce qu’il ou elle en pense. S’il ou elle dit non, nous ne le faisons pas ». Ainsi, la Déontologue en poste au moment du passage de la loi, Agnès Roblot-Troizier, a été saisie 676 fois sur l’année 2017 pour des questions sur l’interprétation de ces nouvelles règles.
Une « marge de manœuvre » pour les élus
Selon l’ex-député LR Sébastien Huyghe : « C’est indispensable de laisser une marge de manœuvre » aux élus, car toutes les dépenses ne sont pas « justifiables ». « De la chambre d’hôtel qu’on réserve pour une femme dormant dans sa voiture… au panier de la ménagère qu’on remplit » explique-t-il. Mais cette liberté dans les notes de frais, la loi la prévoit grâce à une « zone grise » de 600€ qui échappe à tout contrôle. Les élus ont également la possibilité de conserver secrètes certaines informations sur leurs dépenses, afin de ne pas porter atteinte à leur vie privée.
Une « chasse aux sorcières » menée contre les élus ?
L’ex-député Jean-Luc Reitzer s’était offusqué sur les bancs de l’assemblée lors des débats sur cette nouvelle loi : « On n’est pas des truands, on n’a pas besoin d’être contrôlés, suspectés de s’en mettre plein les poches ». Pourtant les scandales se multiplient depuis le passage de cette loi, et ce, à tous les niveaux. Les maires, les députés, les hauts fonctionnaires, tous les postes sont concernés par des dérives, des abus quant aux dépenses de représentations.
La confiance n’exclut pas le contrôle. Pour le député de Paris Sylvain Maillard, voix dissonante lors de débats, « il est normal de justifier les dépenses faites avec l’IRFM, qui n’est pas un complément de rémunération du député mais un instrument qui permet d’exercer son mandat ».
Lili Auriat