Dans le lycée avignonnais où Valérie, 50 ans, enseigne depuis 27 ans les sciences économiques et sociales (SES), sept classes de terminale sur dix n’ont pas de professeur principal. C’est la conséquence de l’éclatement des classes en spécialités causée par la réforme du lycée, à laquelle répond la création du poste de professeur référent. Afin d’avoir le ressenti de ses 30 élèves ayant choisi la spécialité SES sur la réforme du lycée, elle leur a fait passer en classe un questionnaire à propos de l’accompagnement de leur professeur principal ou référent dans la formulation de leur projet d’études supérieures. 17 élèves sur 30 y ont répondu : la majorité évoque un soutien peu régulier de l’établissement dans la formulation des choix post-Bac.
Alexandre, 18 ans, élève de Valérie, souhaite s’orienter vers des études de médecine, mais n’a ni professeur principal, ni référent. Il confie se sentir « délaissé par la direction ». C’est d’ailleurs le cas de 36 élèves de terminale sur 292, soit 12% d’entre eux. Parmi les réponses recueillies, 11 étudiants appartenant à huit classes de terminale différentes, pourtant accompagnés dans leur orientation par un professeur, s’avouent insatisfaits des modifications apportées par la réforme.
Un accompagnement à l’orientation insuffisant
Plusieurs causes sont identifiées par les camarades d’Alexandre : « les professeurs référents n’aident pas assez les élèves par manque d’informations » affirme Alexis, lycéen de 17 ans aspirant à des études de lettres. Lucía, étudiante du même âge qui se destine à une fac d’économie, regrette « ne pas avoir assez de temps consacré avec eux pour l’orientation ». Quant à Bastien, élève de 16 ans au profil davantage scientifique, on peut lire sur le papier qu’il a transmis à sa professeure : « au secours, on est délaissés ». Huit mois après la mise en place des mesures liées à l’orientation post-Bac de la réforme du lycée dans cet établissement du Vaucluse, les bénéfices ne sont pas très clairs. Une inquiétude partagée d’être « laissés pour compte » par des professeurs qui manquent de temps et d’information pour accompagner ces élèves aux profils scolaires morcelés entre des spécialités diverses, qui peinent à correspondre aux attentes des recruteurs du supérieur.
Un échec total ?
Pour Valérie, qui « apprécie beaucoup » d’aider les lycéens dans leur orientation, cette réforme est « dramatique ». Elle a donc accepté d’être la professeure référente de 17 élèves pour l’année scolaire 2021-2022. L’enseignante précise que début septembre, ce sont les élèves eux-mêmes qui sont venus lui demander de devenir référente, « car ils avaient besoin d’un suivi ». Malgré cela, la professeure de SES constate un « échec total » de la réforme concernant l’accompagnement des élèves. Au sein de son établissement, elle raconte un vent de critiques de la part des autres enseignants, qui ont refusé d’endosser les rôles de professeur principal ou référent à cause de la mauvaise organisation de la première année de l’application de la réforme.
Quelques mois après avoir accepté cette fonction, Valérie regrette de ne pas avoir fait du « bon boulot ». Cette année, aucune heure dans son emploi du temps n’est dédiée à l’orientation scolaire. Et derrière, l’impression amère de ne pas pouvoir aider convenablement les élèves qu’elle suit. Durant la dernière semaine du mois de mars, Valérie détaille son programme chargé. Elle retrouve pendant 30 minutes huit des 12 élèves suivis afin de vérifier leurs vœux et de leur expliquer une dernière fois comment écrire leur « projet motivé », c’est-à-dire leur lettre de motivation. Mais pour l’enseignante, 30 minutes c’est à peine le temps de donner quelques consignes, ce qui rend tout suivi personnalisé complexe. Elle doit ainsi retrouver individuellement quelques élèves en difficulté, « entre deux cours et pendant les pauses », pour leur glisser quelques conseils supplémentaires et les « rassurer ».
Pour la professeure d’économie, l’orientation et le projet professionnel représentent un travail de connaissance de soi, qui peut difficilement se faire à la dernière minute. Faute de temps, de moyens et d’organisation, la réforme du lycée a poussé certains élèves perdus à s’orienter dans certains secteurs sans grande conviction. Les premiers résultats de la plateforme arrivant début juin, Valérie attend avec impatience le verdict de ces quelques mois d’inquiétude, pour elle comme pour ses élèves.