Depuis juin 2021, le Grand oral fait partie des nouvelles épreuves de la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Cet examen est une épreuve de prise de parole durant laquelle l’élève est interrogé sur ses enseignements de spécialités ainsi que sur son orientation professionnelle. Le candidat dispose de 20 minutes pour présenter une question préparée en amont avec ses professeurs avant d’échanger avec le jury sur le contenu de sa présentation et de son projet professionnel. Pendant toute la durée de l’examen, le jury veille à évaluer la clarté de l’exposé, la qualité de la réflexion ainsi que la maîtrise de l’expression orale.
Selon le ministère de l’Éducation, le Grand oral vise à « compenser les inégalités entre les élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen ». Pour justifier la mise en place de l’épreuve, Jean-Michel Blanquer évoque ainsi la place indispensable de la communication orale dans la préparation à l’enseignement supérieur. Cependant, cette épreuve fait débat chez les enseignants depuis sa mise en place en 2021. En juin dernier, lors du passage des épreuves, un manque de préparation a été déploré par les professeurs en raison d’un programme chargé. Par ailleurs, les aspects inégalitaires de l’examen ont été soulevés par les blocus de l’Union nationale lycéenne.
Un révélateur d’inégalités
En effet, l’évaluation jugée « injuste » par les syndicats étudiants a souvent été décriée. Si l’on regarde plus précisément le barème de l’épreuve, l’éloquence et les comportements physiques de l’élève sont pris en compte dans la notation. La grille d’évaluation repose sur la syntaxe ainsi que sur la richesse lexicale de l’élève. Un « vocabulaire limité ou approximatif », une « voix monocorde » ou une « faible réactivité » face aux questions du jury doivent être sanctionnés par les professeurs, peut-on lire sur le site du ministère de l’Éducation. Pour Pierre Merle, sociologue de l’éducation, le Grand oral est une « épreuve mal pensée et injuste » quand on sait que « l’expression orale repose principalement sur le milieu d’origine de l’élève et l’accompagnement familial ». Les parents de classes moyennes et supérieures se montreraient plus exigeants sur les critères d’expression, corrigeant les fautes de leurs enfants afin de leur transmettre une meilleure maîtrise lexicale. Ainsi, les élèves des classes aisées disposeraient d’un vocabulaire « plus étendu » et de « meilleures compétences grammaticales » tandis que les élèves issus de milieux défavorisés ne bénéficieraient pas du même accompagnement. Ces inégalités ont tendance à s’accentuer avec le temps, à en croire les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), publiées tous les cinq ans, qui expliquent notamment que le système scolaire français est l’un des plus inégalitaires d’Europe.
Dans un communiqué publié en 2021, l’Association des professeurs de Sciences économiques et sociales parle d’une « machine à piéger les élèves et à accroître les inégalités sociales de réussite scolaire ». Ils déplorent notamment la difficulté d’évaluer les connaissances scolaires d’un candidat en seulement 10 minutes : « Quand les connaissances ne sont pas valorisées, cela laisse place à l’évaluation de l’expression orale de l’élève qui est répartie de manière très inégale selon les milieux sociaux », déclare le groupe d’enseignants.
Repenser le Grand oral
Afin de réduire ces inégalités, des professionnels de l’éducation réfléchissent à plusieurs solutions. Élisabeth Bautier, spécialiste des inégalités d’apprentissage, propose la création d’un « vocabulaire pour devenir élève », une sorte de grille de mots qui faciliterait la « mise en œuvre d’opérations de pensée aux fondements de la construction des savoirs scolaires ». Elle propose également que l’apprentissage de l’oral se fasse le plus tôt possible pour éviter les écarts entre les lycéens.
Pour le ministre de l’Éducation, le Grand oral permettrait à l’élève de préparer son avenir universitaire mais « l’oral n’est pas spécialement plus utilisé dans l’enseignement supérieur », estime Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges, pour le journal Marianne. « Ce qui y prépare, c’est la qualité de l’enseignement ou le fait d’avoir de bonnes conditions d’accès aux études. »