La parole à… trois journalistes, trois regards sur les quartiers nord
Delphine Tanguy (La Provence) : couvre les quartiers nord depuis 16 ans
Que pensez-vous des « médias citoyens » qui portent la voix des habitants de banlieues, comme le Bondy blog en Seine-Saint-Denis?
Une véritable rédaction de ce type n’a pas existé à Marseille. Le Bondy blog concerne la banlieue parisienne, et je trouve l’idée géniale (une tentative appelée Marseille Bondy Blog a bien vu le jour en 2007 mais n’a pu s’installer dans la durée). Mais il y a aussi des limites à ce type de médias, comme le professionnalisme des personnes qui relaient l’information. Certains de mes collègues ont organisé des animations dans les quartiers nord pour sensibiliser au relai de l’information, il faudrait multiplier ce type d’initiatives.
Philippe Pujol (La Marseillaise), prix Albert-Londres 2014 du grand reportage de presse écrite pour sa série d’articles « Quartiers shit » sur les quartiers nord de Marseille
Ces initiatives permettent-elles de donner réellement une autre image des banlieues ?
Je ne suis pas pour les médias citoyens. Les cités sont des ghettos, donc la première chose à faire c’est de faire exploser l’image des ghettos. Ces gens doivent avoir accès à autre chose qu’à l’image de dealers. Les médias utilisent les apprentis journalistes des cités pour avoir accès à l’information. Leurs habitants doivent pouvoir sortir de la banlieue s’ils le veulent. Et puis la presse, ce n’est pas chacun dit ce qu’il veut. Il y a un angle, un aller et retour avec le chef de la rédaction. Je veux bien que les citoyens aient leur part, mais il faut intégrer les journalistes professionnels.
Myriam Guillaume (La Marseillaise), a couvert les quartiers nord pendant 10 ans
Ces médias alternatifs ne sont donc pas une solution ?
C’est tout à fait louable, mais il faut faire attention. Le citoyen parle pour lui, alors que le journaliste parle pour les autres. Il a un regard différé, contextualisé, et déontologique. Le Bondy blog va être brut dans son traitement de l’actualité. Ce sont des médias plus directs. C’est bien, mais cela peut laisser cours un peu à tout et n’importe quoi.
Globalement, sur ces quartiers, la parole des inconnus est confisquée. Il existe quand même des médias nationaux qui disent de bonnes choses. Mais globalement, l’information est survolée, les médias citoyens ont donc une utilité.
NB: A Marseille, des « médias citoyens » ont émergé pour offrir une information alternative. Med’in Marseille, Marsactu, Le Ravi ou Radio Grenouille en sont des exemples. En 2014, l’asso- ciation Médias citoyens PACA a été créée pour fédérer les médias citoyens de la région autour d’une même structure.