Après avoir accueilli 1,8 million de croisiéristes en 2019, un record, les compagnies sont désormais à pied d’œuvre pour retrouver un nombre de passagers équivalent à la période pré-crise sanitaire. Mais le retour des paquebots, et des dizaines de milliers de touristes venus des quatre coins du monde, a suscité la controverse : à bâbord, des acteurs économiques qui se réjouissent. À tribord, les riverains et la majorité municipale qui font grise mine.
Peut-on saluer le retour de ces villes flottantes dans le premier port de croisière français ? Les paquebots de croisière peuvent-ils être accueillis sans limite dans la ville portuaire, à l’heure où la qualité de l’air, la lutte contre la pollution atmosphérique et plus généralement le dérèglement climatique sont censés guider les décisions publiques et nos comportements privés ?
Oui, la croisière en amuse encore certains, et même beaucoup si l’on juge les chiffres de fréquentation de ces hôtels flottants. En 2019, Marseille s’était réjouie de recevoir 497 navires en escales, avec 3 755 passagers en moyenne. La ville y voyait alors un moyen idéal d’accroître sa notoriété. En débarquant, les touristes se baladent, prennent des coups de soleil, profitent des spécialités locales. Et, surtout, ils dépensent. Parfois un peu, souvent beaucoup. Restaurants, bars, brasseries, commerces, musées et artisans locaux peuvent donc se frotter les mains. De Marseille à Aix-en-Provence, le temps d’une journée, ils contribuent massivement à l’économie locale. Néanmoins, « les Marseillais suffoquent », selon les mots de leur maire, Benoît Payan (PS), qui pointe l’autre versant de cette réalité. Cette année, la lutte contre la pollution liée aux paquebots, l’un de ses plus vieux chevaux de bataille, a été concrétisée par une pétition mettant en avant son désaccord avec les pratiques actuelles des entreprises de croisières. Rêver de changer les règles internationales et la loi, dans un domaine qui n’est pas du ressort municipal mais national, apparaît davantage comme une opération de communication bien huilée que comme une volonté concrète de changer les choses rapidement.
Les pratiques des acteurs de la croisière sont dénoncées de longue date par les élus du Printemps Marseillais, issu de l’alliance des principaux partis de gauche de la cité phocéenne. Mais cette lutte s’étend plus largement que dans les seuls cercles de gauche : la dégradation de la qualité de l’air mobilise de plus en plus de citoyens inquiets des dangers de la pollution des navires. Problème : la volonté de changer de cap au plus vite est commune, les idées pour y parvenir diamétralement opposées. Les écologistes et la gauche marseillaise envisagent la fin pure et simple des croisières et pourraient interdire l’accès à la ville des navires les plus gigantesques. Le secrétaire d’Etat à la mer Hervé Berville, lui, voudrait lancer de lourds investissements en matière d’innovation, main dans la main avec le secteur privé. Parfois, un effort d’union est fait, que l’on peut saluer même s’il ne semble pas exempt d’arrière-pensées politiques. Ainsi, Laurent Lhardit, adjoint à l’économie, à l’emploi et au tourisme durable, a mis en avant lors d’une réunion publique organisée par la Mairie du 2ème et 3ème arrondissement au mois d’octobre la nécessité de réunir les pouvoirs publics et les habitants dans un mouvement commun.
Encore faudrait-il se parler. La société civile, les acteurs économiques et les oppositions se mobilisent pour faire valoir leurs positions, mais pointent un manque d’échanges directs avec la municipalité. Alors que de nombreux hommes et femmes politiques se sont rendus à la seconde édition du Blue Summit Maritime à Marseille le 20 octobre dernier, qui réunit l’ensemble des acteurs économiques du secteur de la croisière, aucun élu de premier plan de la mairie n’aura eu (ou n’aura pas voulu avoir) son mot à dire à cette occasion, empêchant par leur absence toute forme de débat contradictoire avec d’autres protagonistes. La confusion règne : certaines associations très médiatisées comme le collectif Stop Croisières mènent ponctuellement des actions de désobéissance civile et restent volontairement indépendantes de tout parti politique en général, et de la majorité municipale en particulier. L’absence de chiffres partagés rend le débat sur les solutions techniques extrêmement laborieux.
Des intérêts particuliers, qu’ils soient économiques ou politiques, devraient s’effacer devant l’urgence et permettre d’aborder le débat de manière courageuse et frontale.