Le petit paradis et la santé d’une Marseillaise, “gâchés” par la pollution maritime

“J’ai une fuite de la valve mitrale qui affaiblit mon système cardiaque. J’en suis certaine, ça vient de la pollution.” Michèle Rauzier, retraitée, vit à Marseille dans le quartier de Mourepiane qui se situe à côté de la zone portuaire. Fervente militante au sein de Cap au Nord depuis plus de 20 ans, elle en est convaincue: sa santé et son quotidien se sont détériorés au fil de la montée en puissance des grands bateaux de croisière.

Le 14 novembre, cette Marseillaise à la voix chantonnante soufflera ses 73 ans. Depuis la maison familiale dans laquelle elle est née en 1949, elle a assisté à l’extension du Grand Port maritime de Marseille (GPMM) et à l’arrivée des bateaux de croisière. Avec eux, les bateaux n’ont pas seulement mené une masse croissante de croisiéristes : ils ont aussi apporté la pollution.

Des nuisances irréversibles, marquées par le sillage des bateaux

Michèle est parfois contrainte de se mettre aux abris. “C’est insupportable. Il m’est arrivé en fonction du temps, de devoir tout fermer. Lorsqu’il y a du vent, la pollution se déplace vers le sud et c’est irrespirable« . Et quand on lui parle de sa santé, cette dernière, en colère, nous révèle l’impensable. “J’ai subi toute ma vie cette pollution et maintenant j’ai une pathologie qui est certainement due à la pollution atmosphérique selon mes médecins. J’ai une fuite de la valve mitrale qu’il faudrait maintenant opérer. Dans mon quartier, je connaissais des personnes qui étaient sportives, ne fumaient pas. Elles sont mortes de cancers et jeunes« . Selon ses diagnostics médicaux, cette pathologie cardiovasculaire parfois cancéreuse, serait la conséquence directe des particules fines que l’on sent, voit et respire à Marseille. Cette pollution atmosphérique fait notamment l’objet de mesures scientifiques menées par l’observatoire de la qualité de l’air dans la région Paca-Atmosud. Selon ce dernier, à Marseille, 38% des émissions de dioxyde d’azote proviendraient des navires dont 20% imputables aux bateaux de croisières et la pollution de l’air serait responsable de 2.500 décès prématurés par an.

La mer, derrière les barreaux.

Née un an après le premier aménagement du GPMM, la septuagénaire nous ouvre la grille en fer forgée de sa bastide aux tuiles rouges. La vue est imprenable: derrière le bleu azur de sa piscine, se dresse un véritable décor de cinéma. La mer, à perte de vue, est entachée par les bateaux de croisière et le port. Elle nous raconte alors comment son accès à la mer et au chemin du littoral lui a progressivement été retiré. “A l’époque, il n’y avait que des quartiers maritimes, longés par une route où il y avait le tramway. Ils ont arasé la colline foresta et ont comblé la zone sur des milliers de mètres cubes« . C’est dans les années 70 que le paysage commence à changer drastiquement. “On avait une vue imprenable du fond du jardin sur la plage et la mer, et du jour au lendemain on a commencé à combler par des terres, des digues, et on a supprimé la mer aux habitants. Maintenant, on voit la mer derrière les barreaux”. Ces transformations urbaines, Michelle les a vécues comme une véritable invasion. “Le terminal croisière accueille des bateaux de croisière polluants mais aussi des ferrys et des cargos« . La forme de réparation navale 10, la 3ème plus grande mondiale, inaugurée en 2017, a été la goutte de trop. “On a des bateaux qui partent le matin et qui reviennent le soir. Mais le pire, c’est le bruit. Lors des réparations, les moteurs des bateaux tournent sans cesse de jour comme de nuit et l’air ambiant se réchauffe encore plus. Alors vous imaginez en période de canicule l’été ?”. Alors qu’ils n’étaient que 18 500 en 1995, le nombre des passagers faisant escale à Marseille se rapproche désormais de la barre symbolique des 2 millions. “Marseille n’était pas assez attractive. Après avoir été désignée comme capitale européenne de la culture en 2013, la ville s’est renouvelée. Jacques Truau, le responsable du club de la croisière, a décidé de faire de la ville une escale« .

Le militantisme, la solution contre la pollution et les promesses non tenues ?

Cette colère et cette nostalgie d’un paradis perdu, Michèle les a placées dans ses actions auprès de l’association Cap au Nord ces 20 dernières années. “Je les ai rejoints peu de temps après leur création en 2002, parce que nous avions sur le chemin du littoral, une usine qui était très polluante. Après 7 ans de combat, on a fini par gagner”. Lors de son parcours de militante, elle est aussi entrée en contact avec l’ancien directeur du port, Jean-Claude Terrier, qui évoquait déjà le projet d’électrification des quais en 2013. Néanmoins, le bilan est discutable. “On est en 2022 et même pas le quart des quais est équipé en électricité pour que les bateaux soient branchés et arrêtent de tourner au fioul. Donc leurs promesses, on les connaît”. Alors qu’elle était anciennement plus modérée, Michèle a revu ses positions après avoir lu le dernier argumentaire du jeune collectif Stop Croisières. “Les ferries pour la Corse ou le Maghreb, il est évident que l’on ne va pas les arrêter, les gens ont besoin d’aller voir leurs familles. Mais ce sont les gigantesques bateaux de croisières qu’il faut arrêter. On devrait uniquement faire venir des petits bateaux à taille humaine sans scrubbers, les dispositifs filtrant les fumées d’échappement des moteurs qui sont néfastes pour les milieux marins.” La solution selon elle ? “Il faut être visible, mais surtout en parler voire même déposer une plainte si nécessaire”. Épaulée par un avocat en droit de l’environnement et Cap au Nord, la riveraine a en effet porté plainte contre X pour atteinte et mise en danger à la personne en août dernier. En attendant que justice soit faite, elle continue de sensibiliser les marseillais en militant et en témoignant.