“On est un collectif surveillé, il y a beaucoup de personnes qui voudraient bien nous voir arrêter nos actions.” Plusieurs activistes de Stop Croisières ont répété cette phrase lors de la réunion du 19 octobre qui s’est tenue à la Base Marseille, un lieu coloré et convivial du quartier des Chartreux autogéré par les militants qui l’utilisent.
Membres actifs, nouveaux adhérents, coordinateurs d’autres associations comme Greenpeace, ou simples curieux, une vingtaine de personnes sont réunies ce soir-là pendant près de trois heures. Elles font le point, comme toutes les deux semaines, sur les projets et actions à venir. Les chaises sont posées en cercle sur le sol de béton de la salle polyvalente. Aux murs, des affiches sont collées : “Stop Fast Fashion Start Action”, “Act Now”, “Stop gaz de schiste”. Chacun est invité à se présenter, et malgré une longue journée de travail pour la plupart d’entre eux, c’est la détermination et non la fatigue qui est visible sur les visages. Combattre le tourisme de masse des croisières à Marseille, telle est la mission qu’ils se sont fixés. Pour faciliter la prise de parole et naviguer efficacement à travers les ordres du jour, des codes sont à respecter : agiter ses mains vers le haut pour l’approbation, vers le bas pour la désapprobation, faire un signe rotatif des mains pour passer à un autre sujet. Si le collectif réfléchit encore à son organisation logistique, la ligne de conduite est fixe : atteindre ses objectifs, quitte à effectuer des actes de désobéissance civile.
Une lutte mêlant militants et riverains en colère
La création officielle de Stop Croisières date d’une conférence de presse de mai 2022, mais la formation officieuse a débuté au printemps 2020. Des riverains du port, excédés par la reprise des croisières suite au premier confinement et à la pollution qu’elles créent, se rapprochent alors de plusieurs associations comme Alternatiba, Extinction Rebellion, Les Amis de la Terre ou Greenpeace. Les premières réunions se déroulent chez les habitants des quartiers directement concernés car bordant le Grand Port Maritime de Marseille, tel que l’Estaque. Actuellement, le collectif compte entre 50 et 60 actifs, et de nouveaux membres les rejoignent régulièrement, que ce soit de façon permanente ou pour des actions ponctuelles. C’est un groupe qui “fait corps”, explique une porte-parole alors installée dans le petit coin livrothèque de la Base. Il n’y a pas de chef de file, les membres sont répartis en plusieurs pôles selon leurs compétences (communication, recherche scientifique, relations internationales). Si tout mouvement citoyen militant est un acte politique, le collectif tient à son indépendance. “On ne veut pas être la chasse gardée d’un parti politique”, comme le dit l’un des membres pendant la réunion.
Agir en réseau contre le tourisme de masse et la pollution
14 juin 2022, port de Marseille : le collectif mène une action coup de poing en coordination avec Extinction Rebellion. A l’aide de canoës et de Zodiacs, 24 activistes bloquent pendant près d’1h30 l’entrée de deux navires de croisière dans le port, le géant Wonder of the Seas et MSC Orchestra, avant que la gendarmerie maritime n’intervienne. Les médias reprennent l’information en boucle.
En parallèle, depuis le début de l’automne, des formations commencent à être proposées aux élus afin d’expliquer le sens de leurs revendications et de faciliter les débats. Aujourd’hui présent dans plusieurs villes comme Toulon, La Ciotat et Ajaccio, le groupe veut créer des relations avec d’autres associations locales, mais aussi à l’échelle nationale et internationale. Ainsi, le 27 septembre, à l’occasion de la Journée mondiale du tourisme, Stop Croisières organisait une manifestation sur le Vieux-Port avec d’autres organismes, comme le collectif pour la lutte contre l’extension de l’aéroport de Marignane et le Centre Norbert Elias qui souhaite mener une étude sur la pollution maritime. Au programme : stands de sensibilisation, confection de pancartes et discours. Un événement similaire se déroulait simultanément dans les autres villes du réseau Sud de l’Europe contre le Tourisme de masse. “Si le bateau qu’on rejette ici va s’installer dans une autre ville, les questions sur le climat et la pollution maritime seront toujours là.” Sous l’ombrière-miroir du Vieux-Port, la porte-parole tente de se faire entendre par-dessus le souffle du Mistral et le bruit des tambourins qui résonnent. Un autre réseau serait également en cours de création, l’European Cruise Activist Network, qui entend lutter spécifiquement contre les croisières, “pour que l’on soit ensemble face à ce fléau”.
Prochaine étape : une plainte contre X
“Cette lutte cristallise tout ce qui ne va pas dans la société, c’est-à-dire que l’on peut polluer en toute impunité à partir du moment où ça rapporte des sous. C’est ce qui nous mène à la catastrophe.” La représentante du collectif explique ensuite le projet de déposer une plainte contre X rassemblant le plus de plaignants possible pour “mise en danger de la vie d’autrui”. Le but est de prouver l’atteinte réelle à la santé publique causée par les navires de croisières et les fumées qu’ils propagent. Soutenue par des avocats, cette action ajouterait un levier législatif aux actions de Stop Croisières.