ChatGPT sème le trouble dans la communauté littéraire

Entre peur d’un remplacement littéraire, revendication d’un nouvel outil de travail performant, et droits d’auteur en question, au festival des écrivains du sud, les professionnels sont préoccupés par leur avenir.

Au festival des écrivains du sud, les dédicaces s’enchaînent, rythmées par les nombreuses conférences organisées par la ville d’Aix-en-Provence et le Cercle des écrivains du sud. Plus de 50 autrices et auteurs sont réunis le temps d’un week-end de mars, l’occasion pour leur public de rencontrer leurs personnalités préférées, et pour le monde du livre de se retrouver. Entre les stands, les échanges tournent autour de ChatGPT, pourra-t-il un jour remplacer les écrivains ?

La sensibilité humaine face à l’algorithme mathématique

Si la question fait sourire les invités du festival, ChatGPT dispose déjà de sa propre page d’auteur sur Amazon. Le site de vente en ligne propose des centaines de titres co-écrits par l’intelligence artificielle, qui prennent place à côté des grands classiques. De leur côté, les écrivains restent dubitatifs : bien que le modèle de langage semble imiter à la perfection l’écriture de l’homme, l’aspect créatif dépend toujours des requêtes de ses utilisateurs. « Je ne pense pas que ChatGPT puisse créer ou révolutionner de l’art » indique Grégoire Delacourt, auteur de 12 livres à succès dont L’Écrivain de la famille. Pour lui, « le travail de l’écrivain reste celui du poète, de l’amour des mots. » Pourtant, les mots en question sont la qualité principale du modèle de langage capable de prédire de manière statistique des suites cohérentes et bluffantes pour ses utilisateurs. Ainsi, Grégoire Delacourt explique qu’une formule comme « mourir d’aimer » n’aurait pas pu être écrite par l’intelligence artificielle pour laquelle « cela n’a aucun sens d’un point de vue émotionnel. »

Plus qu’un simple travail de style, les textes sont vecteurs de transmission. Dans la file d’attente devant le stand de dédicaces de Mélissa Da Costa, l’autrice au plus d’un million d’exemplaires vendus, Isabelle attend avec impatience. La quarantaine, elle tient entre ses mains manucurées le dernier roman Les Femmes du bout du monde et surtout Les lendemains, complètement annoté, qui témoigne de relectures nombreuses. Elle se souvient avoir pleuré, puis s’être reconstruite avec Amande, l’héroïne du livre, évoluant entre le deuil et l’envie de revivre. Une émotion qu’a su transcrire la jeune autrice, pour faire écho aux récits de chacun et dont l’IA ne peut comprendre la teneur.

Un outil au service de la création littéraire

Alors que les avis restent mitigés, l’intelligence artificielle s’impose comme un outil au service des apprentis écrivains. Genario, l’application développée par une équipe d’ingénieurs français, propose depuis 2019 un accompagnement des écrivains par l’intelligence artificielle. À condition d’un abonnement payant, elle enseigne à ses « élèves » les secrets de l’écriture et les aide dans la réalisation de leurs projets littéraires. Génération de pitchs, création de personnages, de décors, ou encore élaboration de la trame narrative, l’IA distille ses conseils, tout en faisant gagner du temps aux utilisateurs. 

Dans l’amphithéâtre de l’Hôtel Maynier d’Oppède, à Aix-en-Provence, Jean, venu assister à une conférence sur l’écriture, témoigne de sa démarche. Après des mois à travailler son projet de roman, le quinquagénaire s’est naturellement tourné vers l’intelligence artificielle. Pour cet informaticien de formation, le passage à la littérature ne signifie pas la rupture avec la technologie, qui lui permet « d’améliorer » son texte, et « de trouver de nouveaux retournements de situation », tout en restant de « maître » de son récit.

À la source d’inspiration, le vol intellectuel

Finalement, c’est bien le manque d’encadrement de ChatGPT qui laisse les auteurs méfiants. Sur l’un des stands installés Place de l’Hôtel de Ville, Kerwin Spire, énarque et auteur de Monsieur Romain Gary, s’interroge sur les problématiques liées au plagiat, au droit d’auteur, et à la paternité des œuvres produites. Dans le monde du livre, les réactions restent timides, les maisons d’édition, comme Gallimard, ne souhaitant pas publier des écrits de l’intelligence artificielle, alors que la législation du droit d’auteur demeure floue. Au niveau européen, le European Writers’ Council, lobby représentant 46 associations et syndicats nationaux de l’édition, accuse la loi IA débattue au parlement de ne pas prendre en compte les notions de  « transparence » et de « consentement » sur les œuvres qui alimentent les algorithmes, et souhaite améliorer la protection des créateurs du secteur. Le lobby souligne également le besoin d’éclaircissement sur le rôle et la place de ces outils dans la protection de la création artistique.

Dans un contexte de reconfiguration du champ éditorial, ChatGPT a-t-il pioché la carte du futur auteur à succès ? 

Aurélie Bilger