Pierre Savary : « Il ne faut pas rejeter ChatGPT dans l’enseignement journalistique, mais le comprendre »

ChatGPT suscite de vives réactions dans l’enseignement universitaire et dans le monde professionnel. Toutefois, pour Pierre Savary, directeur de l’École Supérieur de Journalisme de Lille (ESJ Lille) et ancien journaliste à Radio France, l’engouement autour de l’intelligence artificielle n’est pas nouveau, mais doit être pris en considération par les aspirants journalistes. Le besoin de sourcer et de douter est d’autant plus important au regard de la déontologie journalistique.

En tant que directeur d’école de journalisme, comment percevez-vous l’essor de Chat GPT ?

L’essor de ChatGPT met un coup de projecteur sur ce que l’intelligence artificielle peut apporter ou faire craindre au journalisme. Je le vois comme un aiguillon ou quelque chose qui remet les projecteurs sur un phénomène qui n’est pas nouveau. L’arrivée d’une intelligence artificielle, qui va beaucoup impacter la profession était déjà un sujet traité il y a quelques années, même si ChatGPT peut être un accélérateur de prise de conscience pour la profession. Il y a deux ans, l’ESJ Lille avait déjà organisé un colloque sur l’IA adaptée au journalisme et les indications que l’on pouvait mettre en lumière pour la profession. Aujourd’hui, les choses avancent, mais ChatGPT n’est qu’un maillon de la chaîne, qui est loin d’être le premier.

Quid de la formation journalistique vis-à-vis de l’utilisation de ChatGPT ? 

Jusqu’à maintenant, à l’ESJ Lille, nous organisions des journées de séminaires ou des conférences sur l’intelligence artificielle, mais de manière ponctuelle. Il n’y a pas encore de cours, à proprement parler, mais nous sommes en train de structurer les choses et de prévoir, à partir de l’année prochaine, un cours sur l’intelligence artificielle à l’aune de ChatGPT. Tout ça amène des réflexions qui sont déterminantes quand on est un élève journaliste. Le besoin de douter et l’importance de sourcer, nous ramène à l’importance de la déontologie journalistique. 

Tout l’enjeu, c’est de voir à quel point ChatGPT peut aider, sans qu’on en devienne esclave. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il ne faut pas rejeter ChatGPT, mais en comprendre le fonctionnement, les limites et les lacunes. Ce modèle de langage n’écrit pas le réel, mais le plus probable. C’est une réflexion supplémentaire pour un étudiant en journalisme. Une fois que les aspirants journalistes, et les journalistes, ont compris ça, on voit la limite. 

Êtes-vous inquiet quant au journalisme de demain à l’ère de l’intelligence artificielle ? 

Le journalisme sera plus compliqué que ce qu’il n’est déjà. Prenez les photos du pape avec la doudoune (création d’une image via Midjourney : une IA qui crée des images, Ndlr). Ce que peut faire une IA est assez bluffant ! Dans quelques temps, on devra avoir une forme de validation des photos faites par un journaliste qui deviendra indispensable, avec la date, l’heure, le lieu et le nom du photojournaliste. Je pense qu’à l’aune de l’IA, on se dirige vers un rôle de certificateur pour le journaliste. Demain, le journalisme sera beaucoup plus tourné vers la validation d’une information, que sur la recherche de l’information.

Propos recueillis par:

Karim Chegueni

Agathe Palenc