Édito : « L’ENA : ce n’est qu’un au revoir »

L’année 2018 est marquée par les manifestations hebdomadaires des Gilets Jaunes, un mouvement de contestation citoyen. Ils introduisent sur la scène publique leur défiance et leur critique de leurs élites, qu’ils considèrent déconnectées de la vie quotidienne. Semblant entendre cette revendication, le Président Emmanuel Macron déclarait, le 25 avril 2019, lors d’une conférence de presse à l’issue du Grand Débat : « Je pense que pour faire la réforme [de la haute fonction publique] que j’évoquais, il faut supprimer, entre autres, l’ENA ». Chose dite, chose faite. Le 8 avril 2021, à l’Institut Régional Administratif de Nantes, Emmanuel Macron officialise la suppression de l’ENA pour la remplacer par l’Institut du service public (ISP), afin de « refonder les règles du recrutement, des carrières et de l’ouverture de la haute fonction publique ». À cela il ajoute que « notre modèle s’est enrayé et il est devenu plus injuste, parce que nous avons en quelque sorte recréé une société de castes et de privilèges ». Ces déclarations ne sont pas sans rappeler, la fonction première de l’ENA, qui visait à supprimer l’entre-soi et la surreprésentation de la bourgeoisie chez les hauts-fonctionnaires, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Mais en…

L’année 2018 est marquée par les manifestations hebdomadaires des Gilets Jaunes, un mouvement de contestation citoyen. Ils introduisent sur la scène publique leur défiance et leur critique de leurs élites, qu’ils considèrent déconnectées de la vie quotidienne. Semblant entendre cette revendication, le Président Emmanuel Macron déclarait, le 25 avril 2019, lors d’une conférence de presse à l’issue du Grand Débat : « Je pense que pour faire la réforme [de la haute fonction publique] que j’évoquais, il faut supprimer, entre autres, l’ENA ».

Chose dite, chose faite. Le 8 avril 2021, à l’Institut Régional Administratif de Nantes, Emmanuel Macron officialise la suppression de l’ENA pour la remplacer par l’Institut du service public (ISP), afin de « refonder les règles du recrutement, des carrières et de l’ouverture de la haute fonction publique ». À cela il ajoute que « notre modèle s’est enrayé et il est devenu plus injuste, parce que nous avons en quelque sorte recréé une société de castes et de privilèges ». Ces déclarations ne sont pas sans rappeler, la fonction première de l’ENA, qui visait à supprimer l’entre-soi et la surreprésentation de la bourgeoisie chez les hauts-fonctionnaires, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale.

Mais en quoi la suppression de l’École strasbourgeoise permettrait-elle une meilleure représentativité de la société dans les grands corps de l’État ?

Peut-être parce que cette École reproduit les élites en les déconnectant de leur pays et des réalités. Peut-être parce que cette école forme une partie considérable des dirigeants politiques du pays, en particulier des grands postes de pouvoir que sont le président et ses ministres, tout en maintenant une importante homogénéité sociale en son sein. Peut-être parce que quarante années après la parution des écrits de Pierre Bourdieu sur l’école et la méritocratie, on s’est (enfin) rendu compte que cette École n’était que l’aboutissement d’un système éducatif basé sur le « mérite » mais qui offre moins de possibilités aux enfants des classes populaires. Sans parler de la place des femmes… minime dans cette formation.

À l’image du changement de nom du Front National en Rassemblement National, et à en croire les plus sceptiques, pas sûr que ce changement de nom permette à Emmanuel Macron, lui-même énarque, de bousculer en profondeur les travers de la formation des hauts fonctionnaires. D’autant plus que les reproches du Président adressés à l’ENA, dépassent évidemment l’École elle-même. Comme à un lézard à qui on coupe la queue, celle-ci repoussera sous une autre forme. 

Ainsi pour ce douzième numéro de Chicane, nous nous sommes intéressés (vous l’aurez compris) à la suppression de l’ENA et à tous les sujets qui fâchent à son propos depuis des années : son histoire, sa formation, les inégalités d’accès, la mixité sociale ou encore la parité.. Et tant d’autres pour comprendre l’intérêt d’un lieu de savoir réservé à une toute (vraiment toute) petite partie de la population qui voit son institution disparaître et se transformer. 

Clémence Facchinetti et Annah Blouin-Favard