Tour du monde des formations de hauts fonctionnaires

Il peut être difficile de comprendre et de juger la réforme de l’ENA d’Emmanuel Macron, sans comparer nos institutions avec celles d’autres pays. Centralisation de la formation des cadres, éloignement des classes inférieures, frais de scolarité excessifs et management à l’américaine, autant de caractéristiques récurrentes qui ne sont pas réservées à l’ENA. Suivez-nous pour un voyage des formations de hauts fonctionnaires. 

ITALIE : L’ENA italienne, la Scuola Superiore della Pubblica dell’Amministrazione  


Le gouvernement italien a créé une école spécialisée qui forme les hauts fonctionnaires italiens, avec un concours central pour y entrer après obtention d’une licence. Cette école, la Scuola Superiore della Pubblica dell’Amministrazione est jugée très coûteuse et peu efficace. Pour un budget annuel de 2,7 millions d’euros (équivalent de celui de l’ENA française), elle ne forme que 26 étudiants par an (contre 90 étudiants en France). De plus, sur ces 26 étudiants, seuls 9 trouvent directement un emploi dans la haute fonction publique, alors que les 17 autres sont placés en liste d’attente. La majorité des hauts fonctionnaires sont originaires d’autres parcours, où sont désignés par le parti au pouvoir.

USA : La Harvard Kennedy School of Government à Cambridge Massachusetts

Aux États-Unis, une grande école reliée à l’université de Harvard regroupe futurs dirigeants, chefs d’entreprises et cadres de la haute fonction publique. La Kennedy School of Government, à Cambridge dans le Massachusetts accueille 1 100 étudiants par an pour leur apprendre à gouverner. Depuis 1970, 17 chefs d’État du monde entier sont des anciens étudiants de l’école. Les frais de scolarité annuels s’élèvent entre 60,000 $ et 105,000 $ selon le diplôme, et les bourses sont faibles et difficiles à obtenir. Il s’agit principalement de bourses au mérite ou de fonds accordés par des associations d’anciens élèves. Les conséquences : une année d’études à la Kennedy School n’est envisageable que pour les étudiants issus de familles riches.

ALLEMAGNE : S’inspirer du système français.

Comme c’est traditionnellement le cas dans un pays fédéral, il n’y a pas de grande école pour former les hauts fonctionnaires en Allemagne. Les examens d’entrée à la haute fonction publique se font à l’issue du parcours universitaire (souvent la faculté de droit) des prétendants. Chaque ministère recrute ses propres hauts fonctionnaires. Après avoir obtenu un diplôme universitaire et passé le concours, les élèves doivent gravir les échelons de la hiérarchie jusqu’à la sphère fédérale. Depuis les années 2000, le mode de recrutement change progressivement et l’Allemagne semble s’inspirer du modèle français. La Hertie School of Governance, créée en 2003 s’inspire des IEP français, et regroupe les futurs hauts fonctionnaires autour d’un programme spécialement élaboré pour constituer les corps de l’État.

RUSSIE : Une école centrale sous l’autorité de Vladimir Poutine

En Russie, une école centrale formant les futurs hauts fonctionnaires existe depuis 2018. Son appellation : la Haute École de la gestion d’État à l’Académie de l’économie nationale et du service de l’État, auprès du président de la Fédération de Russie. Les tchinovniki (bureaucrates) sont admis sur concours, un procédé sélectif qui prévoit d’assurer la méritocratie afin de lutter contre la corruption et le piston, un mal très répandu dans l’appareil dirigeant. L’une des singularités de cette école : le « team building », une technique de management où les étudiants apprennent le tir, le parachutisme, se font rouler dessus par des chars blindés et sautent de sept mètres dans une rivière afin de renforcer leur esprit d’équipe.

D’après Andreï Pertsev, de la fondation Carnegie pour la paix internationale, « cette formation ne peut pas prétendre changer un système entièrement construit sur la corruption et le respect dû aux amis de Poutine. C’est de la poudre aux yeux ».

ROYAUME UNI : Pas de grandes écoles en vu

Les grandes écoles n’existent pas au Royaume-Uni. Cependant, deux universités privées forment l’écrasante majorité des élites dirigeantes : Oxford et Cambridge, deux foyers d’entre-soi pour les élites. Composés à 33 % en 2019 d’anciens élèves du collège Eton, symbole de l’aristocratie britannique, les “Oxbridges” constituent une caste dirigeante comparable aux énarques. Pour cette raison, le journal social libéral The Guardian leur a spécialement dédié une rubrique intitulée “Oxbridge and elitism”. Les « Oxbridges » se retrouvent non seulement dans la haute fonction publique anglaise, mais également dans les secteurs privés. Phénomène que l’on retrouve également en France et qui soulève bien des questions. 

Clément Vauchelle