Qu’est-ce qui vous a amenée à créer ENA 50/50 ?
Tout est parti, en 2017, d’un collectif de femmes (élèves de l’ENA) qui se sont aperçues que ce sujet manquait et qu’il fallait des actions concrètes. Il a été décidé de mettre en place du coaching et du mentoring à Paris pour les femmes qui préparent les concours : concrètement, on aide les candidates à avoir de la méthodologie et à traverser les périodes difficiles dans la préparation, en particulier l’été, où les prépas sont terminées et où le stress est élevé. Nous avons remarqué que l’information de notre existence se propageait rapidement, que nous avions de plus en plus de candidatures, signe d’une attente de la part des femmes. Aujourd’hui, nous arrivons en moyenne à faire intégrer 40 % de nos coachées. C’est satisfaisant.
Comment faites-vous concrètement, pour déployer votre action ?
Nous avons élargi notre aide aux Instituts d’études politiques de province. Lors de la première année, nous avons préparé 150 candidates parisiennes. Cette année, avec ce déploiement en province, nous en avons coaché 300. Parmi les candidates admissibles aux 4 concours de l’ENA, 35 femmes ont été coachées par ENA 50/50. C’est donc le cœur de l’action de l’association mais nous cherchons désormais à nous diversifier. À l’ENA, par exemple, nous menons des actions pour mettre en place du management genré. Nous avons tout un accompagnement sur le féminisme et le sexisme, et travaillons le sujet avec l’administration.
ENA 50/50 a aussi un partenaire privilégié qui est la ministre de la fonction publique, Amélie de Montchalin. Nous avons pu échanger avec elle, défendre les quotas et la possibilité de contraindre un peu plus les écoles. Nous voudrions également créer un sixième bloc de formation, avec, une formation de lutte contre le harcèlement et le sexisme. C’est ce que nous avons soutenu auprès de la ministre.
Comment s’organise l’association ?
Nous sommes 12 membres actifs au sein de l’association. Les membres sont soit élèves de l’ENA soit des anciennes élèves. Nous avons un bureau avec une présidente, une secrétaire générale et un trésorier. Nous sommes divisés en plusieurs groupes : le groupe de coaching, un groupe de conférence, un groupe d’ateliers. Nous sommes 10 femmes et 2 hommes. Nous avons fait le choix d’intégrer les hommes pour promouvoir l’association, les inclure dans cette problématique.
Pourquoi, selon vous, une telle association n’a-t-elle pas été créée plus tôt ?
L’ENA est une scolarité très prenante, les 18 mois sont intenses, les partiels sont aussi conséquents qu’un concours d’entrée et il y a un classement. Donc ça n’est pas facile de concilier cette charge de travail avec un engagement associatif.
Le rapport de force entre l’administration et l’association peut être biaisé également, du fait de ce classement. Il y a une crainte : « Si je m’investis pour défendre des sujets qui peuvent entrer en collusion avec l’administration, cela ne va-t-il pas avoir un impact sur mon classement ? »
De plus, des associations existaient déjà, comme “Administration moderne”. La question de la pertinence s’est posée. Je pense aussi qu’il n’y avait pas les ingrédients à l’époque, il y a eu une vraie prise de conscience ces dernières années de la stagnation de la proportion de femmes dans la haute fonction publique.
Depuis qu’elle a été créée, voyez-vous une amélioration pour les femmes dans l’accès aux concours ? Au niveau de l’admissibilité et de l’admission ?
Nous obtenons 37/38 % d’admission, mais l’activité de l’association, renforcée cet été, permet de maintenir ce niveau et de ne pas régresser. Dans un premier temps, nous avons d’abord travaillé à garder ce pourcentage : avec l’annonce de la suppression de l’ENA, beaucoup de femmes ont failli abandonner. Elles étaient déjà plus hésitantes à se présenter au concours : en entendant parler de la suppression de l’école, elles ont eu tendance à penser que ça ne servait plus à rien de tenter d’y entrer.
Tant qu’il n’y aura pas de quotas et de mesures pour faire augmenter le pourcentage de femmes, nous n’y arriverons pas. C’est pour ça que nous disons que l’Institut national du service public est une opportunité qui pourrait permettre de faire de vrais gestes contraignants et temporaires pour accélérer l’augmentation de la proportion de femmes énarques. Passer des paroles aux actions.
Quel futur voyez-vous pour l’association ? Travaillez-vous à de nouveaux moyens de promouvoir l’égalité ?
Nous travaillons déjà à recréer notre association, puisque comme l’ENA disparaît, nous allons la transformer en INSP 50/50. Nous réfléchissons aussi à la création d’une association-chapeau de toutes les écoles qui suivront le programme de l’INSP. Développer une force de frappe plus puissante, avec des groupes de travail aussi, comme celui de l’Institut national des études territoriales (INET).
Klara Durand