Quand les énarques s’invitent sur nos écrans : zoom sur la série « L’Ecole du Pouvoir »  

Jalousies, tricheries, ambitions nationales, messes basses, et jeux de pouvoir : l’Ecole Nationale d’Administration a tous les atouts pour nourrir des scénarios machiavéliques. Pourtant, si les énarques apparaissent souvent dans les fictions françaises, les représentations de l’ENA comme personnage central, sont rares sur nos écrans. Une seule œuvre culturelle place l’ENA au cœur de son intrigue : L’Ecole du Pouvoir, série de deux épisodes de 52 minutes, diffusée en 2009. Rencontre avec Didier Lacoste, co-scénariste et Robinson Stevenin, comédien, qui nous racontent l’histoire du projet.

La genèse du projet  

Une jeune femme est assise à une table, le regard dur et la posture droite : elle passe le Grand Oral, l’épreuve d’admission à l’ENA. Une voix lui demande : « Donnez-moi un mot négatif qui se termine en -atie ». La jeune femme hésite, elle lève les yeux vers son jury, uniquement composé d’hommes âgés et répond avec assurance « phallocratie ». Le jury échange des regards étonnés. Le ton de la série est donné dès cette première scène : les jeunes personnages de l’Ecole du Pouvoir sont secs, audacieux et n’ont pas froid aux yeux.  

L’Ecole du Pouvoir raconte l’histoire d’Abel Karmonski, Caroline Séguier, Matt Ribero, Louis et Laure de Cigy, cinq jeunes énarques de la célèbre promotion Voltaire (1978 – 1980), qui compte parmi ses élèves des grandes figures de la vie politique française telles que François Hollande ou Dominique de Villepin. La série retrace leurs parcours de jeunes adultes et leurs premières désillusions comme hauts fonctionnaires de l’Etat. 

Le projet est initialement venu de François Sauvagnargues, ancien directeur de la fiction d’Arte, qui imagine réaliser une série sur l’accession de la gauche au pouvoir au début des années 80. Raoul Peck, ministre de la Culture de la République d’Haïti de 1995 à 1997 puis réalisateur césarisé en 2007 pour le documentaire I Am Not Your Negro, est chargé de porter le projet à l’écran. « C’était très intéressant de travailler avec Raoul Peck parce qu’il connaît les coulisses du pouvoir et de la politique (…). C’est quelqu’un de très exigeant, il y avait une attente de sa part d’excellence », raconte Robinson Stevenin qui incarne Abel Karnonski, jeune énarque au regard perçant dont les idéaux révolutionnaires seront mis à mal.  

Entre réalisme et romanesque  

Pour construire le scénario, Didier Lacoste s’est appuyé sur une enquête menée par la société de production CAPA : une quarantaine d’anciens énarques de la promotion Voltaire ont été interrogés. «  Environ 400 pages d’interviews  » ont été réalisées, précise-t-il, pour construire les trajectoires de personnages fictifs, comme Abel Karnonksi, ou inspirés de personnalités politiques, comme Caroline Séguier (inspirée de Ségolène Royal) ou Matt Ribero (inspiré de François Hollande). Les comédiens ont quant à eux suivi des cours à Sciences Po Paris pour se préparer aux rôles. Pour Robinson Stevenin, ces notes ont été capitales. Notamment pour une scène du premier épisode durant laquelle les personnages préparent le concours de sortie. Ils travaillent jusqu’au petit matin et échangent conseils, fiches de révisions tout en riant, une manière de montrer, souligne Didier Lacoste, « que l’amitié transcende les clivages politiques ».  

Le maintien de ses idéaux face à la réalité du pouvoir  

Au début de l’intrigue, les cinq jeunes énarques sont habités d’idéaux forts : ils veulent réformer l’ENA, se promettent de refuser les grands corps et clament, à la manière du personnage d’Abel, la possibilité d’étudier à l’ENA et « d’avoir des ambitions défendables ». L’ENA est clairement représentée, dans la série, comme une machine à conformer, un instrument de reproduction sociale froid qui réduit en miettes les espoirs de ses jeunes élèves. « Au début, la jeunesse est fougueuse puis peu à peu, c’est la réalité économique qui s’impose. Et dans la série, on voit comment ceux qui accèdent aux postes de secrétaires d’Etat se heurtent à la réalité politique à laquelle Mitterrand lui-même s’est heurté », explique Didier Lacoste.  

Un succès qui dure  

La série continue d’être regardée et de rencontrer un certain succès : sur Youtube, la scène du Grand Oral (épreuve d’admission à l’ENA) cumule presque un million de vues.  « Il y a beaucoup de jalousie, d’envie, de mépris et en même temps, une grande curiosité pour ces gens, on se dit : « Comment ils étaient quand ils étaient jeunes ? », affirme Didier Lacoste. La série a également été montrée à d’anciens énarques et une projection à l’Assemblée Nationale a été organisée à cette occasion : « Ils se sont régalés, ils se sont beaucoup amusés, c’était comme si ils revivaient leur jeunesse », se souvient Didier Lacoste. Les coulisses du pouvoir ne cesseront jamais de fasciner.  

Maïssam Mezioud