« Les JO sont une diversion politique massive »

Directeur de la revue théorique et militante Quel Sport ?, l’auteur de plusieurs ouvrages critiques sur le sport, Fabien Ollier, démystifie le sport-spectacle de compétition qu’il appréhende comme une idéologie au service de l’aliénation des corps et de la domination capitaliste. Les Jeux olympiques en font partie.

Q: Vous associez la compétition sportive au capitalisme. Est-ce à dire que tout événement sportif d’envergure est devenu le nouvel “opium du peuple” ? 

Fabien Ollier : L’une des thèses principales de la Théorie critique du sport inspirée par le freudo-marxisme et l’École de Francfort est en effet que le sport fonctionne comme un opium du peuple. Cela veut dire que le sport a cette triple faculté de chloroformiser les consciences par le spectacle incessant des champions de l’exploit tarifé ; de produire une conscience erronée (ou une fausse conscience) du monde par le matraquage de l’idéologie de la compétition pour la compétition ; et de procurer une satisfaction illusoire qui occulte les réalités effectives, en premier lieu celles assez sordides du milieu sportif gangrené depuis fort longtemps par les violences protéiformes, la corruption à tous les étages, le dopage systématisé, l’affairisme capitaliste des cartels olympiques, etc.

Si toute activité sportive est corporelle, toute activité corporelle n’est pas sportive. Le passage d’une activité de loisir ou de détente vers une pratique sportive conduit automatiquement vers le souci du rendement physique dans le cadre d’une compétition contre soi-même, contre le temps mesuré, contre les autres. Cela nécessite un cadre institutionnel (fédérations, clubs, associations) et une uniformité des règles, des équipements, des gestes, du vocabulaire, des technologies. La finalité consiste à discriminer physiquement les individus et à les sérialiser inégalitairement (classement du premier au dernier) en fonction de leurs caractéristiques testées en conditions plus ou moins extrêmes de compétition. Malgré les divers paliers qui séparent le « sportif du dimanche matin » et l’athlète intégré à l’INSEP ou à « l’armée des champions », un fil conducteur rattache tous les sportifs les uns aux autres : leurs corps devenus performances abstraites et comparables.

L’essentiel de la vision sportive du monde tient dans l’idéal d’une élite physique qui impose son « instinct » inégalitaire dans une lutte pour la suprématie afin de devenir un « modèle » pour la masse. Il n’est donc pas surprenant de constater que le sport a été alternativement ou simultanément l’enfant prodigue de la bourgeoisie capitaliste, colonialiste et impérialiste, et l’enfant terrible des régimes totalitaires, dictatoriaux et autoritaires.


Q: Les Jeux olympiques seraient-ils dans ce cas le summum du patriotisme et du chauvinisme ?

F.O. : La mobilisation générale autour des JO 2024 –avec union sacrée politique et conformisme généralisé de quasiment toute la presse au sujet des Jeux censés nous rendre « fiers d’être Français »–l’illustre parfaitement. La propagande d’État pour qu’une « trêve sociale » s’applique pendant la « fête olympique » distille quotidiennement l’idéologie de l’appartenance gluante des Français à un seul et même corps sportif. Alors que la France traverse de graves crises sociales, les Jeux sont utilisés par toute la « Macronie » comme une diversion politique massive et une tribune d’acclamation générale de son programme libéral-autoritaire. Il s’agit de faire oublier que le CIO et ses sponsors –les multinationales de l’affairisme capitaliste spécialisées dans les plans de licenciement boursier et les délocalisations– vont s’enrichir goulûment, tandis que les contribuables paieront l’ardoise olympique qui est en train de doubler ou tripler par rapport au budget initial de 2015.


Q: Estimez-vous alors que les JO sont déconnectés des besoins de la population ?

F.O. : À l’heure où les Alpes françaises, de moins en moins enneigées, sont censées devenir l’écrin blanc artificiel des stars de la glisse –qui sont au respect de l’environnement ce que les chasseurs sont à l’écologie…– pour les Jeux d’hiver 2030, il serait grand temps de prendre conscience que la démesure olympique conduit à construire des équipements de pointe extrêmement onéreux, destinées à être sous-utilisés et réservés à une minuscule élite musculaire totalement parasitaire d’un point de vue socio-économique. Le fonctionnement à plein régime des organes constitutifs de la « fête olympique » génère de surcroît une empreinte carbone colossale en raison de l’artificialisation des sols, de la dépense considérable d’énergies et de la massification touristique. Et enfin, pour « accueillir le monde » en toute sécurité malgré les risques de voir des groupes terroristes profiter de la médiatisation de « l’évènement le plus suivi de la planète », un important quadrillage militaro-policier et un dispositif de « surveillance augmentée » sont mis en place. Celui-ci fait surtout reculer les libertés individuelles et démocratiques au nom d’une « paix olympique » de pacotille dont peuvent seulement se réjouir les délégations invitées des régimes dictatoriaux fauteurs de guerre.


Propos recueillis par Valentine BRISVALTER